L'été indien - Episode 1 : First step inna Zion

Publié le par Tisto

 

Bonsoir Jacqueline, bonsoir à toutes et à tous,

Pour toutes les zones de la Mer du Nord et de la Manche,

 

            Tout d’abord, bonne année, parce que c’est la période et puis que c’est important. Comme le disait un homme avisé : « 2009, année de la teuf, année de la seuf, année de la meuf ». La formulation est peut-être un peu osée, mais elle présente l’avantage de positiver en ces temps de remaniements ministériels et de crise. Alors, tous ensemble avec Lorie et Jean-Pierre Raffarin, ayons la Positive Attitude, et que 2009 vous apporte tout ce que vous souhaitez, méritez, revendiquez, et aussi ce que vous n’attendez pas (parce que c’est quand même là où c’est le plus drôle).

 

Et puis je tenais à vous dire que vous m’avez manqué : j’aime bien sentir vos yeux balayer d’un trait mes âneries, vos doigts anxieux sur la molette de la souris, vos éternuements ébahis à la mention des prix du Camel de 20. Ce n’est pas que je n’aie pas eu accès à internet pendant le séjour – il est arrivé jusqu’en Bolivie, et oui – mais je ne me voyais pas bâcler un anecdotique « Je suis à La Paz, tout va bien même si on est un peu crevés ». Non. Pas avec vous. Nous sommes entre gentlemen, bordel de merde. Nos relations ne supporteraient pas une telle médiocrité.

 

Alors j’ai attendu, prenant des petites notes dans mon carnet et dans ma tête, dans l’attente de nos retrouvailles bloguistiques, afin de revenir les bras chargés de petites histoires et de grandes épopées ; j’aime autant vous prévenir tout de suite : ce sera long et intense, découpé en plusieurs épisodes pour les commodités de tout le monde. Avis aux amateurs.

 

 

Pour commencer, je voudrais vous présenter mon binôme de voyage, Mademoiselle Hélène, dont j’ai eu l’honneur et l’avantage d’être le chevalier servant durant cette vingtaine de jours. Avant tout, LN c’est mon amie, et puis il se trouve aussi qu’elle est la douce et tendre de mon grand frère, un jour la mère de mes neveux inch Allah (je réalise un travail de sape et de lobbying dans ce sens depuis un bout de temps, je crois que je m’en sors bien). On peut donc l’appeler ma (très) belle-sœur, étant donné en plus qu’elle répond aussi bien à un terme qu’à l’autre, ou encore Grosse Framboise. A vous de voir.

 

Hélène, qui est à Rennes avec moi, est par conséquent en mode « expatriation » cette année. Avant d’arriver en Argentine, elle était en stage à Melbourne (cf. lien sur votre droite) chez les kangourous et autres wombats, et s’était offert un petit interlude de trois semaines sur notre bon sol de France. Ajoutez à cela un voyage dans le genre atroce (4 jours d’avions et une tonne et demi d’emmerdes douanières et autres retards climatiques), vous comprendrez que miss Boucle d’Or était un peu tourneboulée en débarquant à Buenos Aires le 18 décembre. J’étais moi-même dans la capitale depuis deux/trois jours, que j’avais mis à profit pour transpirer beaucoup et me faire braquer mon appareil photo (« tu me le files ou je te colle une balle », j’ai filé même si le gars n’avait sans doute pas plus d’arme à feu que Gandhi). Je récupère donc la damoiselle, et nous repartons le soir même pour Mendoza, avant de mettre le cap au nord. Un petit jour de récup’ pour Hélène, une soirée d’adieux divers, et le voyage pouvait commencer. Il était temps. Le samedi 20 décembre 2008 vit le début de notre voyage à travers hauts plateaux et lama grillé, entre feuilles de coca et chapeaux melons, un voyage dont le moins que l’on puisse dire, sans extrapoler aucunement, est qu’il envoya du pâté. Attention les yeux.

 

 En rouge, notre trajet


Quelques chiffres pour avoir l'air sérieux ; la Bolivie, c'est :


- 1 098 581 km², 27e superficie mondiale s'il vous plaît, loin devant la France par exemple (41e).

- 9 247 000 habitants, 85e score mondial (des efforts à faire).

- Parmi eux, environ 65% d'indigènes (quechuas, aymaras et guaranis principalement).

- Un IDH de O,695 (niveau moyen), soit le 117e mondial.

- 3 participations en phase finale de Coupe du Monde.

- Une victoire en Copa América en 1963.


A des fins de meilleur repérage spatio-temporel, je vous livre la liste des lieux que nous avons visités ; si vous la recoupez avec la carte, vous aurez une bonne idée géographique de notre périple. Vous remarquerez qu’en presque trois semaines, nous avons à peine eu le temps de visiter la partie ouest de la Bolivie (la région andine). Ça laisse rêveur…

 

Le Salar d’Uyuni et la région du Sud-Lipez : déserts de sel et lamas en folie.

La Paz, ville la plus punk que je connaisse.

Copacabana, Lac Titicaca et Isla del Sol : la communion avec Pachamama.

La Paz, le retour : un jour de break.

Tiwanaku, ou le royaume des touristes et des vieux cailloux.

Potosí, une ville qui sent la naphtaline mais sympa quand même.

 

Voilà, vous savez tout. Je devrais arrêter l’article ici et vous laisser vous démerder sur Wikipédia si vous voulez voir à quoi ça ressemble tout ça. Mais je suis bon prince ; ne me remerciez pas, de toutes façons en ce moment j’ai largement le temps. Alors, si vous êtes toujours d’accord, allons-y pour l’épisode 1 de l’Eté Indien.

 

Un bon voyage ne pouvant pas commencer sans histoires, nous nous offrons dès Mendoza une petite séquence « t’as les billets ? – Ah non. – Cours !!! » qui nous porte aux frontières du ratage de car. Mais, premier signe de la bénédiction de la Terre-Mère Pachamama qui allait nous suivre tout au long de nos pérégrinations, nous tombons sur un taxi calibre Sami Naceri, pulsions homicides en moins, qui nous amène au terminal en temps et en heure, accélérateur et radio à fond (Boca Juniors remporte le Tournoi d’Ouverture). Suants mais heureux, nous pouvons donc nous poser dans notre bus Andesmar. Ah oui, au fait : pas question de faire directement Mendoza – Uyuni (première destination bolivienne), ni même Mendoza – la frontière, non non non. Etant donnée la période estivale et les touristes qu’elle comprend, il nous a fallu composer avec un trajet palpitant entre les villes du nord argentin. Mendoza – Tucumán – Jujuy – La Quíaca, voilà notre programme, la dernière étant située à la frontière avec la Bolivie.

 

 Le magnifique terminal de Tucuman


Premier bus d’une longue série, donc, et route tranquille vers Tucumán, trou perdu où on célébra l’indépendance de l’Argentine si vous vous rappelez du premier tome de L’Argentine pour les Nuls. Petite attente et deuxième bus pour San Salvador de Jujuy. Une fois sur place en fin de journée (24h après notre départ de Mendoza, donc), il nous paraît plus sage de dormir ici plutôt que de prendre un autre bus et de se retrouver à 4h du matin au terminal de la frontière, à attendre l’ouverture des postes de douane. Après s’être un peu embrouillés avec un salopard qui me demandait de lui filer mon sandwich (pas un peu fou non ?), dodo dans une chambre glauque et suintante, mais dodo quand même. Il faut savoir que dans le nord de l’Argentine, il fait aussi chaud qu’à Mendoza, mais avec un taux d’humidité qui ferait suer à grosse goutte un dromadaire soudanais. Get up à 5h00 le lendemain, nouveau bus et finissage de nuit pour une arrivée quelques heures plus tard à La Quíaca. Il s’agit alors de passer la frontière, mais dans le sens Argentine – Bolivie, ce n’est pas aussi difficile que dans l’autre. Il faut simplement faire un peu de queue, mais rien d’inhumain.

 

 Après le pont, la Bolivie


Une fois nos passeports pourvus de deux tampons supplémentaires, nous sommes autorisés à nous aventurer dans Villazón, ville-miroir de La Quíaca de l’autre côté de la frontière. A partir de là [voix grave et ténébreuse] s’étendait l’inconnu. Veuillez regagner vos sièges et attacher vos ceintures.

 

Déjà, il faut bien dire qu’on est dix fois plus grillés (en tant que gros touristes) en Bolivie qu’en Argentine. Disons qu’en Argentine tu peux avoir le bénéfice du doute jusqu’à ce que tu ouvres la bouche ; en Bolivie, makash. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Bolivie – contrairement à l’Argentine et aux Etats-Unis – n’a pas massacré frénétiquement ses populations indigènes pour faire venir des millions d’européens. Comme précisé dans la rubrique « chiffres », il y a dans ce pays plus de 60% d’indiens (record absolu américain), sans compter les métis de toutes sortes. Autrement dit, quand tu débarques avec ta grosse tête de blanc (voire ta tête blondinette) tu es grillé dans un rayon de 28,3 kilomètres environ. Mais bon, c’est le jeu.

 

Au niveau du décor, la transformation amorcée depuis le nord argentin se poursuit. Le goudron des rues a une forte tendance à disparaître. A gauche et à droite, des vendeurs de tissus colorés, de fruits et légumes, de chaussures Nike à prix ultra-compétitif (frontière oblige), et autres marchandises de première nécessité. Et on croise des dizaines de grand-mères boliviennes qui paraissent être payées par l’office du tourisme pour s’habiller comme sur les cartes postales : chapeau melon, grandes tresses noires, gilet de laine, trois jupes minimum, et bien sûr un grand tissu dans le dos qui leur permet de transporter la marchandise du moment (autres tissus, nourriture, gamins…). Mais non, c’est bien leur tenue normale.

 

Nous nous frayons donc un passage dans la foule, histoire d’aller manger un morceau ; c’est chose faite, sur les miettes laissées par nos prédécesseurs, à côté d’une grand-mère qui s’engloutit successivement une soupe de poulet, du riz aux champignons et une troisième assiette dont je ne me rappelle plus. Balèze, l’ancêtre. Puis on se dirige vers la gare routière, audacieux mix entre la caverne d’Ali Baba et les puces de Barbès. Coup de bol, il y a un bus pour Tupiza, où nous pourrons dormir, avant de rejoindre Uyuni pour la visite du Salar (grand désert de sel). Nous réservons. Quelques temps d’attente plus tard arrive un bus qui rappelle légèrement celui qui était chargé de faire la navette matin et soir entre Sainte Gemmes sur Loire et le collège Jean Mermoz, pour ceux qui voient de quoi que j’cause. On monte, imités en cela par une bonne soixantaine de personnes, pour un bus qui devait offrir à tout casser 35 places. Qu’à cela ne tienne, on tente quand même, et les gens s’entassent sur les sièges et dans l’allée centrale. Il faut savoir qu’auparavant avait eu lieu la séquence « le juste poids », où il s’agissait de faire rentrer le plus possible de bagages dans la soute du véhicule. Oui parce qu’il faut savoir que quand le bolivien se déplace en bus, il aime emmener sa maison avec lui. Pendant une demi-heure un peu surréaliste (amenée à se répéter à chaque trajet) nous avions donc assisté à une grande débauche de sacs de tissu, valises, mallettes, sacs à dos, sacs plastiques, sacs à vins.

 

Toujours est-il qu’après quelques instants de suspense façon TF1 (« le bus pourra-t-il démarrer avec trente passagers au-dessus de sa capacité maximum ? »), deux flics montent dans le bus avec l’objectif d’en faire redescendre lesdits passagers excédentaires ; la chose se passe dans un calme remarquable, ce qui laisse à penser que les surnuméraires étaient là à tout hasard, genre « si ça passe c’est cool, sinon tant pis ». Ouf, pouf. Avec seulement une petite dizaine de personnes debout dans l’allée centrale, notre fringant véhicule démarre sur ce que le Guide du Routard appelle pudiquement une « route secondaire non revêtue » (traduisez « chemin de chèvres »), direction Tupiza. Même pas mal. La route est un peu chaotique,  mais on a vu et verra pire. Nous faisons des arrêts dans une succession de « milieux de nulle part » pour laisser descendre des gens dont on se demande bien où ils peuvent aller une fois arrivés ici. Une autre fois, le conducteur s’arrête pour laisser descendre une dame qui ramasse trois cailloux par terre, remonte, et va s’asseoir à sa place. Pourquoi pas, après tout.  Hélène, amie universelle du genre humain, prend sur ses genoux une petite fille assise dans le couloir du bus ; elle s’endort aussitôt, je décide de l’imiter.

 

Fin d’après-midi, arrivée à Tupiza dans la joie et la bonne humeur. Le temps d’errer un peu dans la rue principale et nous finissons par échouer dans un hôtel dans le genre « propre sur lui », avec une fille de notre âge à l’accueil qui semble déjà être la patronne des lieux. Etant donné que c’est notre dernière nuit « au calme » avant les trois ou quatre jours de jeep dans le désert de sel, nous décidons de faire péter la carte bleue pour une chambre mignonne, avec salle de bain privée s’il vous plaît (et non pas partagée avec les autres résidents de l’hôtel). Il n’échappe pas à notre œil de lynx que notre hôtel propose des excursions, y compris vers la destination qui nous intéresse (Salar et région du Sud-Lípez). En plus, il est possible de se faire déposer à Uyuni au retour, ce qui nous fait gagner du temps sur notre parcours. C’est cher, mais on se dit que ça peut valoir son pesant de cacahuètes : marché conclu. Le lendemain matin, nous embarquons donc dans une jeep en compagnie de Miguel et Manuel (colombiens), Blanca (espagnole), ainsi que de Javier le chauffeur et de sa sœur Jimena (assistante/cuisinière). Les deux colombiens sont aussi branleurs et mal coiffés que des argentins, surtout le dénommé Miguel, mais sympas. Blanca est une jolie barcelonaise qui vous réconcilie avec l’accent espagnol et ses zozotements si attendrissants.

 

Le 1er jour défile de halte en halte, dans un décor incroyable. Si vous ne le saviez pas encore, je suis officiellement amoureux des Andes, que ce soit sous leur forme d’ombre fainéante et bienveillante comme à Mendoza, ou sous celle des immenses plateaux de l’altiplano. Et ce voyage est loin de m’avoir fait changer d’avis : de tous les côtés, des montagnes pelées, jaune orangé, des arbustes courageux qui n’ont pas eu peur en s’installant dans la région. Des troupeaux de lamas qui broutent les arbustes survivant aux conditions climatiques. Des cactus. Le ciel alterne entre le gris fer et le grand bleu ; les Andes, quoi !

 

 

 

A ce stade-là de l’aventure, il me faut faire un petit encart thématique, qu’avec un brin de causticité et de bête private joke de sociologue, nous pourrions appeler « La Distinction » (pardonnez-moi Mon Dieu). Oui parce qu’en matière de faune andine, il convient de différencier très clairement les deux protagonistes principaux (hormis le ñandu, sorte de petite autruche). Les deux animaux les plus intéressants des Andes sont tous deux parents du dromadaire (ne me demandez pas comment c’est possible), au sein de cette grande famille qu’on appelle les camélidés. On les nomme respectivement le lama et la vicougne. Enfin non. Paraît-il que vicuña se traduit par « vigogne » en bon français. Paraît-il. Mais vous conviendrez avec moi que le mot « vicougne » est bien plus sympathique.

J’ai dit que le lama et la vicougne étaient tous deux parents du dromadaire et des camélidés en général. Certes. Mais là s’arrête la ressemblance, je vous prie de me croire. Certains ont allégué de l’aspect sympathique et débonnaire du lama, avec sa laine crasseuse et hirsute. Au premier abord, le débutant pourra en effet trouver au lama un côté décontracté et roots, d’autant plus que les bergers de lamas accrochent aux oreilles des lamas des bouts de laine multicolores (pour les reconnaître), ce qui n’est pas sans rappeler à tout un chacun sa chevelure en classe de Seconde. Mais attention ! Le lama est en fait un fourbe et un incapable. D’abord, il passe sa journée au même endroit, en troupeau, entièrement soumis par l’Homme, à brouter le peu d’arbustes ayant réussi à s’implanter dans le secteur. Il n’a donc aucun intérêt. Mais en plus de cela, il faut savoir que le lama est intrinsèquement mauvais. J’en veux pour preuve son long cou tout droit et ses yeux aux paupières tombantes. Le lama vous regarde de haut, vous toise avec un regard dans lequel transparaissent sans équivoque la bêtise la plus crasse ainsi qu’un mépris inconditionnel pour tout ce qui n’est pas lama. L’abruti peut se rendre sympathique en étant amical, le méprisant a des raisons de l’être s’il est supérieurement intelligent, mais qu’un demeuré de camélidé me regarde avec dédain, c’est plus que ce que je peux supporter. Le cumul de ces deux tares au sein d’un même animal me remplit - bien malgré moi, étant pacifiste de nature – d’une haine insondable. Alors, qu’on ne vienne plus me dire que le lama a un air bonasse et rigolo. Le lama est un enfoiré. Point.

La vicougne en revanche, c’est l’exact contraire du lama. Le lama est domestiqué par l’être humain, et est sans doute ravi de l’être, alors que la vicougne est sauvage et indomptable, et ne vit pas en-dessous des 3500m d’altitude. Le lama est vulgaire, la vicougne est noble. Le lama est mesquin et sournois, la vicougne s’adresse à vous avec la franchise de ceux qui n’ont rien à se reprocher. Elle est la reine de l’altiplano, et passe ses journées à gambader fièrement d’un sommet à l’autre, contemplant son royaume infini d’un œil avisé. La vicougne est la bonté. La vicougne est la pureté. Et la vicougne, comme les indiens, a aussi été massacrée à l’arrivée des espagnols. La vicougne est la dignité.

 

 En haut : un lama se livrant à son activité favorite

En bas : une vicougne

Y'a pas photo, non ?


Cela étant dit, il existe aussi d’autres animaux dans la région, y compris d’autres camélidés comme le guanaco et l’alpaga (dont on fait d’admirables écharpes). Mais ils sont moins intéressants et ressemblent de toute façon beaucoup au lama. Et de toute façon on n’a pas toute la journée non plus.

 

Ce point étant éclairci, revenons à nos moutons. Après avoir croisé moult lamas et un peu moins de vicougnes, nous nous arrêtons pour le soir dans un refuge où nous retrouvons une autre équipe faisant le même tour que nous. Le glurps (ou le hic, comme vous voulez), c’est qu’ils sont tous anglophones, alors imaginez l’état de nos cerveaux à Hélène et à moi : moi incapable de me rappeler le moindre « Where is Brian ? » et Hélène en pleine rechute australienne. Du joli. Heureusement, les être humains sont faits pour s’entendre, ne serait-ce que pour se mettre d’accord sur les modalités du massacre. Bref, un repas de bonne rigolade, dans une ambiance rappelant un peu la dégustation de la fameuse « Fougne » à la fin des Bronzés font du ski : voulant sans doute épater la gent féminine présente autour de la table, certains mâles commencent un tournoi de mini-piments verts apparemment corsés. Je dis « apparemment » parce que – lâcheté ou bonne éducation, a vous de juger – j’ai passé mon tour. Petite clope dehors dans un noir absolu avant d’aller au lit, et spectacle magnifique : un orage tombe de l’autre côté du col, ce qui fait que j’avais l’image sans le son. Un orage qui tombe en silence, c’est quelque chose.

 

Lever 5h00, ouh que c’est dur, mais bon sang « que la montâââgne est beeeelle »… La journée se poursuit sur un rythme « jeep/arrêt photos » qui saoule un peu au bout d’un moment. A midi, nous nous baignons dans un petit étang d’eau thermale à plus de 30°C (limite trop chaud d’ailleurs), ce qui me permet comme chaque fois que je vais au soleil d’oublier que les jambes aussi peuvent prendre des coups de soleil. Ah oui, c’est vrai, merde… Après le repas, on avise notre chauffeur Javier que ce serait cool qu’on ait le temps de marcher un peu, et pas de faire que de la jeep et des arrêts de cinq minutes pour prendre des photos. Javier acquiesce, mais je dois dire que notre quotidien ne change pas des masses, à part le fait qu’il accepte de virer ses CD de cumbia et autres reggaeton le temps d’un album de Manu Chao. D’ailleurs, écouter Próxima estación : esperanza en roulant dans les plateaux des Andes, ça lui donne une toute autre ampleur…

 

Le soir, nouveau village de trente habitants, nouveau refuge au milieu de nulle part. Heureusement pour nous, il y  a UNE épicerie, qui dans ce contexte d’isolement absolu relève du cas théorique de monopole en microéconomie. Et là, si vous avez suivi le déroulement du temps dans notre voyage, vous savez pourquoi je dis « heureusement pour nous ». Bien joué, je savais que vous le remarqueriez ! En effet, nous sommes alors le 24 décembre. Comme beaucoup de mécréants, les membres de notre expédition se rangent sans la catégorie « païens incurables ne dédaignant pas une bonne ripaille ». Ne pas être préoccupé outre mesure par l’anniv’ de Jésus n’empêche pas de le fêter hypocritement, du moment qu’il y a des cadeaux et de la bonne bouffe. Si on y réfléchit deux secondes, on serait nombreux à devoir arrêter Noël (quitte à fêter le solstice d’hiver ou la saint Gérard en compensation). Mais bon, la coutume faisant force de loi, nous profitons des offres exceptionnelles de l’épicerie pour acquérir une paire de magnums de 2L d’un vin argentin sobrement baptisé « Exportación ». En gros ça veut dire que c’est du vin de daube produit en Argentine et spécialement destiné à l’exportation vers la Bolivie. Un régal, comme vous vous en doutez.


Le refuge


Ne retrouvant pas nos compères de l’autre expédition, nous passons un repas de Noël un peu « hors du temps et de l’espace » comme dirait l’autre. Pas de foie gras, pas d’huîtres, mais on fait avec ce qu’on a (y’avait quand même des frites) dans la joie et la bonne humeur, bonne humeur accentuée par notre ami Exportación qui monte au pif plus vite qu’une mauvaise sinusite. Il faut dire qu’en altitude, tout verre de vin en vaut quatre, ce qui permet des économies incroyables en éthanol mais qui raccourcit considérablement les soirées. Les quatre litres y passent tout de même, et un débat de haute volée s’engage sur le rythme et la qualité des selles de chacun, dans la vie de tous les jours et en particulier depuis que nous sommes en Bolivie. Comme disait Jean-Paul Sartre dans le numéro des Temps Modernes de juillet 1957 : « une fois qu’on a causé caca, aucun sujet n’est plus tabou ». Et puis, vu le contexte du jour, le débat roule des excréments vers la religion, thème plus noble mais aussi plus rebattu. L’exactitude journalistique me contraint à avouer que je ne tiens pas jusqu’à minuit, moment fatidique du « nacimiento del hijo de puta » (dixit Miguel), littéralement « la naissance du fils de pute ». Je trouve aussi la formulation exagérée, ce bon Jésus étant surtout un brave type mal compris et surexploité. Quel affreux blasphémateur ce Miguel… Toujours est-il qu’Hélène et moi allons nous coucher avant minuit, l’esprit en paix et l’estomac en vrac. Joyeux Noël. Au passage, nous croisons Javier dans le couloir : déjà petit et rond de nature, il semble avoir achevé sa transformation en culbuto par le moyen de je ne sais quelle gnôle de bolivien (avec ses potes du village), et arbore un sourire ravi et niais. Ça laisse rêveur pour la route du lendemain…


 

Pas grand-chose à écrire sur la journée du lendemain, placée sous le signe de la gueule de bois. Le mieux serait de l’avoir en images, c’est quand même le plus intéressant. Nous atterrissons dans un troisième village le soir, juste en bordure du Salar. Et là, le truc trop ouf de la vie (lol tro mdr) c’est que tout le refuge est en sel. Si si, je vous je jure, même les tables, même les lits (avec un matelas par-dessus quand même). Après le repas est lancée l’idée d’un poker avec les anglophones, poker le plus épique de tous les temps puisqu’il est joué avec des cartes de UNO et en misant des petites pierres de sel. Oui monsieur. Et même quand le groupe électrogène lâche, la partie se poursuit presque dans le noir, grâce à une lampe frontale suspendue au plafond. Pour le coup, la pénombre, la lumière crue de la lampe et la fumée des clopes, ça faisait vraiment table de poker clandestin. Génial. Moi-même et Yuri, sympathique malgré qu’il soit germano-russe et par conséquent double ennemi héréditaire de la Grande Nation Polonaise, nous sommes les seuls à savoir un peu jouer, mais le pauvre est éliminé sur un bad beat (kicker 7 contre 9 à la paire d’as pour ceux que ça intéresse). Par contre, l’influx de Patrick est en moi, et je finis par gagner après une finale magistrale contre Blanca, en toute modestie. Qui a dit que je ne pouvais gagner un poker ? Un coucou aux étoiles dehors, magnifiques vue l’isolation du lieu, et dodo dans mon lit de sel.

 

Encore un lever à 5h00 qui a le mérite de me changer radicalement de mon rythme mendocino, mais qui fait mal quand même. L’objectif de l’opération est d’aller contempler le lever du soleil sur le Salar ; déception : c’était beau mais pas exceptionnel. Par contre ce Salar est un truc de dingue : des étendues de sel à perte de vue, de tous les côtés, à 3800m d’altitude. Un peu magique sur les bords. Mais je préfère laisser parler les images, y’a que ça de vrai.

 

 Tout ça, c'est du sel. Si.


Après le poker le plus épique de tous les temps, c’est le tour du match de foot le plus épique de tous les temps : après le petit-déj, toutes les expéditions se rejoignent pour former deux équipes et se disputer le titre convoité de Champion du Salar d’Uyuni. Jouant personnellement au poste de caméraman, je dois dire que c’était plutôt tordant de voir vingt guignols en pompe de rando en train de cracher leurs poumons (je rappelle qu’on est à presque 4000m). Aux moqueurs : j’assume entièrement de n’avoir pas mouillé le maillot, sans moi il n’y aurait pas eu de film. Non mais (film à venir, je peux pas trop surcharger l'article pour des raisons de poids).

 

Comme prévu ce fut un match de grande qualité, d’une durée d’au moins 17 minutes, pour un score final de 2-0, malgré l’excellente performance d’Hélène au poste de stoppeur droit dans l’équipe vaincue. Mais peu importe le score, les valeurs de football ont été respectées dans un esprit de chouette camaraderie. C’est bon pour l’image du club.


 

Puis on remonte une dernière fois dans la jeep direction Uyuni, ville horrible s’il en est, ne devant son existence qu’au tourisme. Comme il nous reste 6 heures à tuer avant de prendre le bus, c’est tout d’abord une petite session cybercafé, puis bières en terrasse, toujours accompagnés de la team anglophone. Avec Blanca nous échafaudons des plans pour kidnapper un bébé bolivien, malheureusement pas concrétisés. Oui parce que les bébés boliviens sont (à ma connaissance) les plus choupinous du monde et de loin, avec leur grosse figure toute ronde, leurs grands yeux noirs et leur petit bonnet enfoncé sur la tête. Mais il paraît que ce genre de marchandises passe assez mal à la douane, aussi nous nous abstenons d’en prendre un. Tristesse…

 

Puis vient l’heure des adieux : Miguel, Manuel, Blanca et d’autres partent vers Potosí, alors que nous montons vers La Paz. Mais il n’est pas exclu que nous les recroisions : ils prévoient comme nous de passer le nouvel an sur l’Isla del Sol, sur le lac Titicaca. Mais nous savons bien, comme Daniel Leclercq, qu’ « en ce bas monde, rien n’est certain ».  A ver… De notre côté, nous nous asseyons sur nos sacs dans une rue bondée et poussiéreuse, au coucher du soleil, en attendant le bus réservé quelques heures plus tôt. Un bus qui doit nous emmener vers la ville la plus punk des deux hémisphères…

 

 

 

A suivre…


 

 

 

Toutes mes félicitations à ceux qui ont lu ça en une fois. Désolé pour la longueur mais je prends déjà sur moi.

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T
Cette fois ci, j'avais pris mes précautions:rien dans le four, un bon café à siroter et le téléphone décroché...Un vrai bonheur de te lire ...mais c'est pas tout ça, nous, ici, on a de plus en plus de mal à calmer les ardeurs: ton père laisse griller 8 heures la côte de boeuf dans la cheminée pour s'entraîner à ta fameuse recette, quant à ta mère, elle est déjà sur le perron avec les valises et connait son texte par coeur: "T'as les billets? Ahh non... Cours!!!"<br /> Va falloir leur organiser un périple d'enfer maintenant que tu leur a mis l'eau salée à la bouche: genre course à dos de Lama sur le lac Titicaca, ou reconstitution d'une attaque à mains armée en plein Buenos Aires (entre parenthèses, je note que tu donnes ton appareil photo mais pas ton sandwitch...on ne plaisante pas avec tout...)<br /> Bon on va tenter de les retenir encore quelques semaines mais les arguments sont de plus en plus maigres:ici il fait 5°, il pleut non stop, et le festival 1er plan est fini...<br /> Allez mon Baptisto..A tchao bon Jeudi<br /> Totote
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P
Mec c'est super bien écrit, et puis ça fait plus voyager que la carte au trésor de France 3. Comme quoi Sylvain Augier s'est pas fait virer pour rien ! <br /> Becos d'Oslo
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T
Titi réincarné en Bourdieu des Andes, jajajaja!<br /> Quand je disais que j'avais besoin d'une heure devant moi, j'avais pas complètement tort!<br /> Du bibi du bout du monde!
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P
Naaaan, je l'ai lu en 2 fois ! Que c'est bon, que c'est bon ! La suite, et que ça saute. Je te verrai bien réincarné en vicougne pour l'esprit, mais ton aspect resterait celui d'un lama. Surtout quand tu as bu et que tu craches sur l'humanité, en regardant avec dédain les ados en slim. Bisous sur toi !
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B
bien poilant et bien kiffant ( le refuge en sel woahhh hansel et gretel version pas bon)<br /> sinon ton agression passait beaucoup mieux en style alexandre jardin :D<br /> en attendant la suite, que te vaya bien
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