L'été indien - Episode 3 : "Blessed by Pachamama"

Publié le par Tisto

 

« Previously on L’été indien :

 

            Dans l’épisode précédent, nos deux protagonistes sans peur et sans reproches avaient survécu à un épique trajet Uyuni – La Paz, malgré les harcèlements d’une septuagénaire et de sa descendance et autres changements inopinés. Arrivés à la ville-presque-capitale de la Bolivie, ils avaient passé trois jours d’exploration, d’ascensions périlleuses et de points de vue magnifiques. Croisant fœtus de lama séchés, sorcières en plastique et vendeurs de tissus colorés, ils s’étaient frayé un chemin chaotique mais sympathique dans cette ville à la punkitude hors du commun. Puis, après ces trois jours de visite et l’acquisition d’Ignacio le charango, ils étaient partis vers Copacabana, cité en bord du Lac Titicaca ; de là, le plan était de prendre un bateau afin de changer d’année sur l’Isla del Sol, centre cosmique de l’univers selon les Incas ».

 

 

Le 30 décembre au matin, nous abandonnons – à regrets – La Paz pour rejoindre Copacabana dans un bus chargé de gens ayant eu la même idée que nous ; beaucoup de brésiliens. Heureusement, il n’y a que trois heures et des bananes de trajet. A un endroit de la route, il faut descendre du bus et monter dans un bateau pour traverser un bras du lac Titicaca, pendant que le bus prend le bac. Puis on repart. Les paysages commencent à être un peu magnifiques, et on se rend alors compte que le brésilien aime à faire son japonais : à la moindre colline, au moindre lama, le bus menace de chavirer sous l’effet des grappes de brésiliens se jetant contre la vitre pour prendre des photos. Mais nous finissons par arriver à Copacabana. Petite précision pour ceux qui sont en train de se dire « mais bordel, il me semble bien que Copacabana c’est une plage à Rio de Janeiro » (ou quelque chose d’approchant) : vous avez raison. Mais justement, la plage de Rio a été nommée comme ça en hommage à la Vierge de Copacabana (de Bolivie), à la suite de je ne sais plus quelle embrouille avec un marin et un naufrage, enfin bon. Le fait est que la plage brésilienne a eu par la suite une carrière plus glorieuse que la ville où nous arrivons juste (d’un point de vue médiatique en tout cas). Je précise également que, contrairement à son homologue brésilien, ce Copacabana-là n’est pas peuplé de magnifiques brésiliennes en string (ce qui d’ailleurs explique sans doute sa moindre célébrité).


Notre hostal à Copacabana


Toujours est-il qu’en descendant du bus, nous réservons notre billet de bateau pour le lendemain matin. Inexplicablement, impossible de réserver aussi le billet retour pour le surlendemain, mais la vendeuse nous affirme avec assurance qu’il « n’y a aucun problème pour réserver un billet retour une fois sur l’île », sur le même ton qu’utilisait la vendeuse à Uyuni pour me rassurer en me disant « mais oui, le bus est direct, ne t’inquiète pas ». Je renifle donc le plan foireux, mais bon, pas le choix. Billet en poche, hôtel trouvé et sac déposés, on ressort pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et soudain, c’est le déluge : en cinq minutes, une telle quantité d’eau se met à tomber que le mot « pluie » en paraît ridiculement euphémique. La rue se retrouve vite inondée, on court pour atteindre le resto le plus proche. Terminant le trajet en crawl et en zigzagant entre les crocodiles, nous atteignons finalement la porte. Ouf. A l’intérieur, heureusement, il fait chaud et agréable. Nous dégoulinons gentiment sur nos banquettes en attendant que le serveur daigne nous prêter attention. Guillermo – c’est son nom – est en fait un amour de serveur, mais ce jour-là est pour lui un jour sans : de son propre aveu, il vient de se lever et éprouve par conséquent quelques difficultés à assurer son service avec la dignité qui lui est (nous l’imaginons) coutumière. Mais sa gentille tête de cocker bouclé fait qu’on lui pardonne tout. Enfin, nous oui. Parce qu’à la table d’à côté vient d’arriver une famille de brésiliens qui condense à elle seule tous les défauts imaginables du touriste, ce qui hérisse un peu le poil. Le père, en particulier, fait partie de cette catégorie des gens qui éprouvent le besoin de se prouver leur valeur en provoquant un scandale, ou au moins en montrant « qu’on ne la leur fait pas, à eux », et ce dans chacun des endroits publics qu’ils honorent de leur présence. Et dans ce cas précis, c’est sur le pauvre Guillermo que retombe son angoisse existentielle, probablement issue d’un difficile rapport au père. Pas besoin de parler la langue de Ronaldinho pour comprendre le genre de commentaires qu’adresse Brésilien-père à notre nouvel ami : c’est trop lent, il manque du sel, c’est froid, ce genre de choses. A part ce monsieur, immense et poivre-et-sel, la famille se compose de trois filles équitablement étalées entre 11 et 25 ans, toutes plus ou moins dans le style « poufiasse précieuse », avec des variantes en fonction de l’âge bien entendu : « apprentie poufiasse précieuse » pour la plus jeune, « poufiasse précieuse mais rebelle » pour celle de 16 ans, et « poufiasse précieuse assumée » pour celle d’environ 25. Sinon, tout dans leur attitude fleure bon le fric et le mépris ; un régal. Je prends le temps de présenter la famille car, à notre grand regret, ces brésiliens nous ont accompagnés pendant un bout du voyage. Réjouissez-vous : on va les revoir.

 

Entre deux séries d’insultes venant de Brésilien-père (appelons-le Rodrigo pour plus de facilité), Guillermo le gentil serveur aux yeux tombants trouve quand même le temps de nous servir des pâtes Alfredo, pas fameuses il est vrai. De là à faire un scandale, faut pas pousser, mais bon… Une fois l’estomac plâtré, nous quittons les lieux avec une pensée compatissante pour Guillermo, sa gueule de bois et ses clients-pas-contents. Petit détour par la cathédrale de Copacabana, bâtie en l’honneur de la Vierge de la plage aux strings, ma foi pas crado du tout. On se croirait dans une mosquée tellement que c’est joli. Mais le mieux n’est pas là, mais sur la place devant la cathédrale. Chanceux que nous sommes, nous sommes à Copacabana un samedi à 14h. Et comme tous les samedis à 14h à Copacabana, c’est le moment du baptême des voitures. Ce n’est pas une blague : certains baptisent des mômes, d’autres des bateaux, et ben ici c’est des bagnoles, et pis c’est tout. Sous les ordres d’un prêtre en soutane et casquette de pompiste, une vieille passe devant des voitures alignées et décorées comme à la parade, pour les bénir avec de l’encens, pendant que les gamins aspergent les roues de ce qui leur tombe sous la main (Coca ou Sprite le plus souvent). Et hop, la voiture est baptisée, nul doute qu’elle ira loin.

 


Ensuite, session cybercafé pour Hélène, j’en profite pour faire plus ample connaissance avec Ignacio. Cette saloperie d’instrument d’indien ne se joue pas comme une guitare, laissez-moi vous le dire. Son ingénieux inventeur a décidé de mettre les cordes dans le désordre, alors du coup faut chercher un peu. Ça tombe bien, j’ai le temps. Hélène revient alors que je maîtrise presque Bella Ciao (oui, on commence par les classiques) : il faudrait aller réserver un hôtel sur l’Isla del Sol, histoire de pas se retrouver en slip en arrivant demain. Oui, parce que passer le nouvel an sur le centre cosmique de l’univers des Incas, c’est un trip mystique très couru chez le rastafaro-babos épris de vibe précolombienne. D’où l’intérêt d’assurer ses arrières. N’écoutant que mon sens de la galanterie, je me charge donc de descendre téléphoner à une adresse d’hôtel. Aussitôt dit, aussitôt fait, pif paf pouf, l’hôtel « nous attend » et nous garde une chambre au chaud pour la nuit du lendemain. Et hop. Seul problème, Hélène a regardé la météo pour le lendemain, et c’est pas fameux : averses toute la journée, vue celle qu’on s’est mangée le midi, on achète des impers. Au passage, au détour d’une banque sans distributeurs automatiques, nous croisons les deux australiennes que nous avions déjà rencontrées dans le Salar d’Uyuni. Elles aussi vont sur l’île pour le nouvel an, on devrait les recroiser.

 

Le soir venu, autre resto pour changer. Malheureusement, il fait partie de ces restos-traquenards qui abondent dans le genre de ville qu’est Copacabana : une énorme pancarte à l’entrée avec marqué « entrée + plat + dessert = 20 bolivianos », ce qui n’est pas cher du tout, et une fois à l’intérieur le serveur te dit « ah ben non on sert plus de dîners, faut choisir dans la carte maintenant ». D’abord, bizarrement, les prix de la carte sont redevenus normaux. Ensuite, il n’est que 19h30, ce qui me fait me demander à quelle heure il faut arriver pour avoir un « dîner » dans ce resto. Bref, on se barre. En plus il faisait froid (enfin, Hélène avait froid). Pour nous consoler, nous retournons chez l’ami Guillermo, un peu plus en forme que ce midi mais avec trois fois plus de clients, donc définitivement perdu. Une bonne pizza, de la bonne musique, une ambiance chaleureuse, c’est quand même pas compliqué un bon resto. D’autant que la Brasil Family – sans doute outrée de l’indigence de l’accueil du midi – ne nous fait pas l’honneur de sa présence. Nouveau coucher tôt, l’altitude ça fatigue, décidément.

 

Réveillés vers 5h par le ricanement de la pluie sur notre velux, on se rendort un peu en se disant que ça risque d’être trash cette journée sur l’île s’il flotte comme ça. Mais au réveil, ô surprise, la pluie a disparu, et il fait même presque beau ! Petit déjeuner dans un bar de marins au bord des quais, et c’est l’embarquement pour l’Isla del Sol, en compagnie d’un contingent d’argentins. C’est pratique, un argentin, en tout cas en voyage ça se repère facilement : ils sont en meute, parlent fort, et ont toujours un thermos à la main. Comment ça, « pour quoi faire » ? Bah, pour faire le maté ! Y’en a qui suivent pas, là ! Je rappelle pour information qu’on est déjà au milieu du 2e trimestre, et qu’il ne reste que cinq mois de cours avant le bac ! Alors ne venez pas vous plaindre, après. Non mais.

 

 

Nous débarquons finalement au nord de l’île, dans une sorte de débarcadère avec trois baraques à frites et autant de barques en bois. Mais, contrairement à ce qu’on avait prévu, il faut obligatoirement faire la randonnée (le début tout du moins) avec un guide, et donc en troupeau. Allons-y pour le troupeau alors ; heureusement, c’est pas plus cher. Enfin, le guide non. Par contre, le tour avec le guide inclut un passage obligatoire dans un musée pour lequel j’aurais plusieurs qualificatifs non dénués de mordant, si je ne craignais de choquer mon estimable auditoire. Bref, après la contemplation religieuse de quelques bouts de fossiles vaguement pré-incas et la perte subséquente de 20 bolivianos, nous sommes autorisés à marcher, toujours en troupeau. La première heure de randonnée est en montée presque continue, je maudis l’industrie du tabac. Mais le paysage est splendide. Le chemin suit le long des falaises qui tombent dans le Titicaca, bleu comme c’est pas permis. Les averses dont on nous avait causé la veille paraissent rester au-dessus de Copacabana. La Pachamama est bel et bien avec nous. Au bout d’une heure de grimpette, le troupeau arrive à une étendue dégagée, entourée de rochers. Nous sommes alors, nous informe notre guide, à la Roche des Origines, dont seraient sortis les premiers Incas, créés par le dieu Viracocha. Rien que ça. C’est là l’endroit précis du fameux centre de l’univers ; autant vous dire que le 21 juin, date du solstice d’été et du nouvel an Aymará (descendants des Incas), le site est envahi d’allumés en toge blanche qui s’assoient en rond en faisant des « Ommmmm » de communion avec la Terre Mère. Fort heureusement, nous n’y sommes que pour le nouvel an occidental, ce qui n’est déjà pas mal. Pendant que le guide nous explique tout ça, j’observe du coin de l’œil trois abrutis de touristes agenouillés un peu plus loin, en train de se faire bénir par un prêtre aymará en plastique non recyclable. Je me demande combien ils ont payé.


Ils sont pas beaux mes ahuris ?

 

Puis le guide nous montre sur la Roche des Origines les éléments qui faisaient penser aux Incas qu’ils en étaient issus il y a quelques siècles. Et en effet, en louchant très fort, on peut distinguer la tête de Viracocha (le dieu barbu), ou bien une grande gueule de crapaud – qui est je le rappelle un symbole de richesse et de réussite. M’efforçant de ne pas penser que j’aurais pu distinguer la même chose dans les motifs de mon carrelage à Mendoza, je ne peux qu’être admiratif devant l’imagination des Incas, ou du moins devant la qualité de leurs substances hallucinogènes. Enfin bon, je rigole beaucoup.

 

Ayant fini de bénir les trois ahuris et de recompter ses US dollars, le prêtre en plastique nous rejoint ; le guide nous explique que c’est « un véritable indien aymará » (oooh !), qu’il est bien évidemment « en relation avec les forces de la Terre » (aaaah !), et tout ça. Autant vous dire que je suis mortellement impressionné. En plus on peut prendre des photos du gars, gratuitement s’il vous plaît. Génial. Il vend aussi des porte-bonheurs, des gris-gris à la mords-moi-le-nœud et des herbes diverses. Et bien entendu, il peut aussi organiser pour ceux qui veulent être bénis par la Pachamama pour l’année 2009 une cérémonie avec feu de bois, prières en quechua et tout le tralala, comme pour les trois ravis de la crèche de tout à l’heure. Etant déjà bénis par la main de Jah Rastafari, et doutant quelque peu des pouvoirs mystiques d’un mec avec un bonnet péruvien marqué « Copacabana 2008 », nous déclinons poliment l’offre.

 

Enfin, nous passons dans les ruines d’un temple Tiwanaku, pas sensationnel mais avec une vue pas moche du tout. Mais là, je sens dans mon estimable auditoire comme un flottement, entre tous les noms de peuplades et de dieux divers, certains sont un peu perdus. Et comme ça fait longtemps que j’ai pas fait de petit encart thématique, allons-y avec une légère digression que nous intitulerons sobrement : « nos amis les Indiens ». Qui est qui ? Je vais essayer de pas dire de conneries, tâche pas si facile que ça parce que laissez-moi vous dire que les peuples andins, c’est un sacré bordel. En résumé, les premiers à être importants, c’est la civilisation Tiwanaku, entre -800 et 1200, qui ont commencé à se faire un royaume un peu sérieux, centralisé, organisé, bref, un truc qui ne soit pas seulement un rassemblement de tribus sauvages shootées au Peyotl. Puis, l’usure du pouvoir se faisant légèrement sentir, les Tiwanakus abandonnent la souveraineté sur la région, vite remplacés en cela par les fameux Incas, qui sortent de leur caillou vers le XIVe siècle. Ces Incas sont des types formidables et surtout extrêmement bien organisés : ils se créent un empire très centralisé et surtout très vaste, puisqu’il va (à son apogée) de l’Equateur (le pays) jusqu’au nord du Chili, en passant par l’altiplano péruvien et bolivien. Et avec un relief pareil, c’était pas de la tarte d’assurer la cohérence d’un tel ensemble, sans internet, sans téléphone, ni même le moindre télégraphe. Mais l’Inca est ingénieux et déterminé, alors ça tient. Jusqu’au jour où débarque une bande de barbus venus d’un continent dont on ne savait même pas qu’il existait. En quelques années, tout un système s’effondre, et l’empire Inca disparaît, remplacé par la Très Catholique Monarchie Espagnole. Le peuple Inca se divise alors en deux : les Quechuas et les Aymarás (dont fait partie Evo Morales par exemple). Sinon, tous les peuples des Andes partagent plus ou moins le même ensemble de croyances, dont celle en la Pachamama, c'est-à-dire la Terre-Mère dont nous sommes issus et où nous vivons. Il y en a une foule d’autres, mais je ne voudrais pas commettre d’inexactitudes en m’aventurant trop loin.

 


Nous en étions donc à ces ruines de temple de la civilisation Tiwanaku, pas foudroyantes mais bien exposées. Entre deux explications, notre guide nous lâche quand même que, bien que ses services soient censés être inclus dans le prix du billet pour l’île, ce serait quand même bien de lâcher un petit pourboire, et tant qu’à faire si ça pouvait être 10 bolivianos par personne, ce serait formidable. Et allez… Mais comme à partir de ce moment-là, nous étions libres de nous balader où on voulait, nous payons. Après un merveilleux sandwich au thon, c’est parti pour la Longue Marche. Le principe est le suivant : un peu comme à Koh Lanta, nous sommes au nord de l’île, le but est de rejoindre le sud où se trouve le village de Yumani, avec des lits, de la nourriture et tout ce qu’il faut pour passer cette nuit du 31 décembre. Sacs harnachés, pompes de rando lacées ; en route. La route vers le sud est en fait le chemin qui suit les crêtes des collines, ce qui fait qu’il alterne entre montées apnéiques et descentes messianiques. Je signale qu’on commence par une p****** de montée apnéique de chez apnéique, au bout de laquelle j’en suis presque à dire à Hélène de continuer sans moi et de dire à ma famille que je l’aime fort, mais je survis finalement. La marche se poursuit dans un décor plutôt seigneurdesannesque, mais en plus pelé. Détail rigolo : sur notre droite, l’autre rive du lac est en territoire bolivien, alors que sur notre gauche c’est le Pérou. Et oui, retournez consulter la carte de l’épisode 1 : le Lac Titicaca fait la frontière entre les deux pays. Enfin moi ça me fait rigoler, chacun son truc après tout. Bref.

 

Au bout d’un certain temps, nous trouvons en travers du chemin trois pépés qui semblent regarder pousser l’herbe ; que nenni, leur présence a un but beaucoup plus trivial. Et oui, nous apprenons que, décidément, le bolivien ne s’emmerde pas : pour passer, il faut lâcher encore trois bolivianos chacun. Vous me connaissez, je ne suis pas le genre à me faire suer pour des broutilles, mais il faut parfois savoir appeler les choses par leur nom. Et à ce niveau-là, je pense que les termes de « racket » ou de « prise d’otages » sont appropriés : au milieu de nulle part, avec une seule route, et ce péage foireux entre le touriste et le port d’embarquement pour repartir de l’île, la conclusion est inévitable, et tu lâches gentiment la pièce. On s’en fout, ça fait trente centimes d’euro, c’est pas le problème, mais non de Dieu, qu’ils te le disent quand tu achètes ton billet pour venir sur l’île : oui il faudra payer pour un musée moche, les services du guide et un péage à la con au milieu de nulle part. Enfin bon, vous l’aurez compris, ça m’agace un peu. Mais c’est la vie hein, je vais pas non plus me bouffer le foie pour ça. De toute façon, le décor est tellement incroyable qu’on s’en aperçoit à peine ; ils nous filent un « certificat » qui prouve qu’on a bien payé, et on continue la route. Nos jambes commencent à prendre un rythme régulier, la magie de la rando est à l’œuvre. Comme disait le poète (chupa-chups à gagner), « vaut mieux se remplir le plus qu’on peut la boîte crânienne de belles images, on est que de passage », alors j’entreprends consciencieusement le remplissage de mes hémisphères cérébraux. Et y’a de quoi faire, croyez-moi.

 

 

Plus loin, le paysage change, des pins se mettent à pousser, des cigales à crisser : putain con, on se croirait presque au pays, fatche ! Au détour d’un muret en pierre, trois gamines viennent faire leur bizness, qui se résume en un mot, « regaláme » : « donne-moi ». Enfin au début elles demandent des chewing-gums, on leur en file sans soucis, puis quand on en vient aux stylos puis à la montre d’Hélène, puis à de l’argent, notre réponse à leur « regaláme » devient « va te rouler ». Enfin si, je leur lâche un stylo bille que j’avais dans ma banane par hasard. Vingt minutes plus loin, même topo, en encore plus organisé : les gamins cette fois-ci étaient carrément planqués et surgissent devant nous, avec le même mot magique aux lèvres. Pour le coup, ils sont toujours aussi intéressés par la montre d’Hélène, et puis par son appareil photo aussi. Ça va bien cinq minutes, mais ils sont collants, il faut donc élever la voix, s’éloigner… tout ça donne un méchant arrière-goût, l’impression d’être le connard d’occidental accroché à ses thunes, mais en même temps on va pas non plus lâcher des appareils photos au débotté, comme ça, au nom de l’humanisme et de la fraternité entre les peuples (d’autant que vous savez bien que le mien, j’en avais déjà fait cadeau quelque temps auparavant). Pff… encore un problème sans solution, la vie n’est pas un polynôme du 2e degré, maintenant on en est sûrs. Encore que si le delta est négatif, y’a pas de solution au polynôme, puisque j’y pense. Merde. Même en maths, il n’y a pas toujours de solution. Bon, la différence est qu’un matheux n’est jamais triste, blasé, désabusé ou agacé quand il voit que son équation n’a pas de solution. Il marque que « l’ensemble S des solutions est vide », et il passe à autre chose. Heureux les mathématiciens, ils ne vivent pas dans notre monde et ils ont bien raison.

 

Nous passons devant un autre « poste de contrôle », qui vérifie que nous possédons bien la preuve de nous être fait entuber sans sourciller deux heures auparavant. Je me demande ce qu’ils nous auraient fait dans le cas contraire. Sûrement des tas de soucis. En tout cas, ce racket organisé a le mérite de créer de l’emploi : à trois mecs par poste en plus, ça permet d’éviter de trop se fatiguer. Et puis finalement, après environ trois heures de marche sur ces crêtes, nous débouchons sur le fameux village de Yumani, 200 habitants et une douzaine d’ânes qui vaquent en semi-liberté dans les rues en terre battue. C’est l’heure d’une bière, bien méritée et surtout fraîche. En terrasse, surplombant le lac, le Pérou en face de nous : paradisiaque.

 

 

Puis c’est le moment de chercher l’auberge réservée la veille par téléphone. Simple, en apparence. Mais bien entendu, après une petite vingtaine de minutes à perdre les quelques alvéoles pulmonaires rescapées de la balade (Yumani est un village construit 100% à flanc de colline), nous arrivons à ladite auberge, où le gérant nous informe qu’il n’a pas entendu parler de notre réservation, et que son auberge est complète. Comme probablement toutes les auberges du village, en ce 31 décembre mystique. Discussions, négociations, montée du ton, rien n’y fait, le  gars n’en démord pas : son auberge est blindée, rien à faire. Hélène avance l’idée que, vu qu’on a réservé et que c’est lui qui a merdé, il pourrait peut-être se bouger les fesses et trouver une solution, au moins appeler d’autres auberges pour voir s’il reste des places. L’homme maugrée. Il sort son téléphone, appelle un numéro et marmonne deux minutes. Et le verdict tombe, pas de places non plus. Bigre. La moutarde commence un peu à me monter aux naseaux, normal, personne n’apprécie d’être confondu avec un jambon de Bayonne. Ce qui me chagrine le plus, c’est quand même l’attitude du gars : pas plus affolé que ça, il discute avec son collègue en quechua, dans le genre :

 

Putain, ils sont dans la merde les deux français, dis-donc.

Bah ouais, tout doit être blindé à l’heure qu’il est.

Ben oui, un 31 décembre, hein, faut pas croire.

Y’a pas de miracles.

Ils sont vraiment dans la merde, quand même.

Tu l’as dit.

La vache.

 

Le tout en restant le cul vissé et le nez en l’air, charmant. Et puis, la crise se résout aussi soudainement qu’elle était venue : frappé par la foudre divine ou pris de pitié devant notre situation, le comparse se lève et nous fait signe de le suivre. Cinq minutes plus tard, nous atterrissons dans une auberge jaune, propre, avec une chambre double à pas cher. A n’y rien comprendre, mais tant mieux. On se rue sur l’occasion : nous avons maintenant un endroit où dormir. Yallah.

 

Mais, à peine le temps de se poser, et déjà il nous faut partir pour une nouvelle périlleuse mission : réserver deux places sur le bateau pour repartir le lendemain. Ah ah ! Je rappelle pour mémoire que la fille qui nous avait vendu les allers avait affirmé avec l’assurance d’un Bernard Tapie face aux juges d’instruction que « oui, il n’y aurait pas problèmes pour acheter des retours une fois sur l’île ». Soit. Descente jusqu’aux quais en bas de Yumani et, Ô surprise, il ne reste qu’un seul gars, qui nous répond bien entendu que tout est plein pour le départ qu’on voulait (c’est qu’on avait aussi un bus à choper pour rentrer à La Paz après). Heureusement, le garçon n’est pas contre un arrangement à l’amiable et nous propose surcharger le bateau, moyennant finance. En payant le double du prix normal (ce qui n’est tout de même pas bien cher), nous obtenons donc nos deux places. Il faudra seulement que le lendemain, on aille le voir afin qu’il nous dise sur quel bateau embarquer, ou plutôt à quel pilote il aura graissé la patte. Vous avez dit corruption ?

 

Sur le chemin (l’escalier) de remontée au village, nous sommes frappés par la révélation : on n’a plus de thunes ! Arg. Et oui, on avait pourtant retiré à Copacabana, en prévoyant qu’il n’y aurait aucun distributeur sur l’île, mais il faut croire que les dieux de l’arithmétique nous ont abandonnés, en tout cas ceux de la prévoyance. Bref, il nous reste à peine de quoi manger ce soir, et pas beaucoup encore. On a beau être hors du temps et de l’espace, pour un 31 décembre ça fait un peu tristoune quand même. Fort heureusement, il reste dans ma sacoche un providentiel billet de 50 pesos argentins. Evidemment ici ça vaut rien, mais qui sait, si on trouve un argentin, on pourra peut-être faire des affaires. C’est donc parti pour une intéressante séquence « ¿ hola, sos argentino ? », où nous harcelons une bonne dizaine de personnes avant de tomber effectivement sur une argentine prévoyante et sympathique, qui accepte sans soucis de nous changer les 50 pesos contre 100 bolivianos. Nous voilà riches ! Pour fêter ça, on se reprend une petite bière face au Titicaca, pile au moment où le soleil se couche. Et là, c’est juste magique. Le dernier soleil de 2008 s’en va au fond du lac, pendant qu’un orage éclate, très loin au-dessus du Pérou. Les éclairs dans les nuages remplacent un peu le feu d’artifice que certains ont pu apprécier, à Valparaíso ou à Rio de Janeiro. Du très mystique, quoi qu’il en soit.

 

 

S’ensuit un petit resto, passablement arnaqueur mais c’est le jeu, puis un petit verre en compagnie des deux australiennes dont je vous avais déjà causé. Evidemment, ça parle anglais, facile pour les trois blondes dont je suis entouré ; pour moi, c’est un peu plus dur vu que, comme qui dirait, j’ai point pratiqué depuis un bout de temps. De temps en temps, je me lance dans la construction d’une phrase, entreprise périlleuse qui se termine parfois par ce qu’on appelle la « panne sèche » : le mot ne vient tout simplement pas. Pas du tout. Allez, c’est pas grave, on se reprend un godet. Et puis de fil en aiguille, il s’avère que le trio magique « altitude – pinard – randonnée » fatigue un peu son homme. Sur le coup de 23h30, nous levons le camp pour rentrer à notre auberge jaune. Par une force mentale extraordinaire, nous tenons encore une demi-heure éveillés. Minuit : gros bécot de bonne année. Minuit cinq : ronflement général. Santé ! On peut alors l’affirmer sans trop se mouiller : la vita è bella…

 

Le lendemain, réveil et descente jusqu’aux quais. Sitôt arrivés, nous avisons notre complice de corruption, qui s’approche de nous avec un sourire entendu et des regards en coin de conspirateur, nous serre la paluche et nous dit de nous asseoir pour attendre son signal. C’est pas que serait la mafia, mais presque ! Assis dans un coin, nous observons tous les gens qui attendent eux aussi leur bateau pour rentrer. Tiens, les brésiliens ! Le père est évidemment en train de négocier on ne sait quoi avec un des loueurs de bateau, en faisant des grands gestes énervés. Puis au bout d’un certain temps, notre indic nous fait un signe et nous montre un bateau dans lequel nous pouvons embarquer. Yes. Coup de bol, c’est aussi celui de nos amis brésiliens ! Et c’est là où toute la culpabilité d’avoir mis le doigt dans la corruption nous quitte : vues les négociations du père brésilien tout à l’heure, et l’énorme surcharge du bateau (dont le bord rase dangereusement le niveau de la flotte), on doit pas du être les seuls à avoir fait ce choix. Ceci dit c’est sympa aussi, cette petite ambiance « boat people – fuyons les Khmers Rouges », dans l’odeur d’essence du moteur qui souffre un peu pour véhiculer tous ces gens. A noter, la révélation du trajet : la plus âgée des « poufiasses précieuses » de la famille brésilienne n’est pas la fille mais bien la copine du papa brésilien, d’au moins vingt ans plus âgé (quel mauvais genre, mon Dieu). Experts en potinage et forts d’un sens infaillible de la déduction, Hélène et moi subodorons donc une famille recomposée à l’histoire difficile. Oui, parce que les deux filles font quand même sacrément la tronche à chaque fois qu’on les croise. Du coup je compatis pour elles, coincées entre le père autoritaire et sa poupée prétentieuse. Enfin, elles ont quand même l’air bien insupportable.

 

Sur ces considérations, l’Isla del Sol s’éloigne, c’était trop bien (et je pèse mes mots). Retour à Copacabana, récupération des sacs, et nous montons dans le bus pour La Paz (sans les brésiliens ce coup-ci). Prochains objectifs : un jour à Tiwanaku, puis départ pour Potosí, ultime étape de l’Eté Indien…

 

 

 

A suivre…

 

 

PS : J’aimerais faire une spéciale dédicace à Pentium, mon ventilateur, qui m’accompagne jour et nuit, empêche mon ordinateur de couper pour cause de surchauffe, et m’empêche moi de me liquéfier sur place (il fait autour de 35°C en ce moment. Désolé). Il fait un bordel de char soviétique, il consume mes cigarettes à ma place, mais je l’aime bien, au fond. Sois remercié, Pentium, Dieu te le rendra le jour où tu passeras l’arme à gauche. Allez, je vous mets une photo, il le vaut bien.

 

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V
juste pour l'appas des choupa choups, anis - thema et louise...<br /> c'est rigolo je suis en parallèle les aventures de Léa et les tiennes et mine de rien elles se ressemblent...Léa est d'ailleurs en ce moment à Mendoza.en tout cas, de paris je vous envie!
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T
je ne résiste pas...<br /> si le delta d'un polynôme du second degré est négatif, on n'a pas de solutions réelles, mais deux solutions complexes !!<br /> comme quoi, les mathématiciens, quand y'a pas de solutions, ils inventent i²=-1 et hop, y'a quand même des solutions...^^<br /> il faudra y songer pour nos voyages futurs... enfin, trouver un équivalent parce que si tu balances ça aux gamins que t'as en face de toi, ils te piquent aussi ton pantalon et tu rentres en calençon... et ça les matheux, ils n'y ont pas pensé !<br /> <br /> bisoumoules<br /> Twinette
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P
Purée quelle aventure mon Tisto. Et pas des moindres. Ca donne envie ces paysages en altitude, un peu pommé, et ces moments uniques... bref y'a du lourd.<br /> Je suis déçu de ton niveau d'anglais mon cher, c'est Rémond qui va faire la gueule... Même moi je fais un effort, sous les conseils avisés de Jimena, pour travailler mon espagnol. Heureusement, ô fortuné que je suis, un argentin passe l'année avec moi ici à Istanbul. J'en suis certain que c'en est un : ses parents lui ont envoyé 10kg de maté par la poste. Véridique.<br /> <br /> Bref, ton histoire me motive pour mon blog... j'y retourne.<br /> bécos
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